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« Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr Introduction Dans la première moitié du XXe siècle, des médiévistes anglo-saxonnes développèrent les problématiques de l’histoire des femmes et de l’histoire du genre en se penchant sur la question des religieuses, que ce soit dans le cadre d’études régionales ou de monographies. Elles insistèrent notamment sur les liens noués entre les communautés et les groupes aristocratiques, suggérant qu’ils étaient plus étroits et polymorphes que dans le cas du monachisme masculin, et elles remarquèrent la spéciicité de leur situation institutionnelle, notamment pour les abbayes qui relevaient de l’ordre cistercien 1. De nombreux épigones se sont engagés dans le chemin tracé par ces pionnières, reprenant ces thématiques en les approfondissant 2. L’historiographie française y apporta sa contribution à partir des années 1980, avec les travaux marquants de Michel Parisse et de Paulette L’Hermite-Leclercq 3. La première recherche de ce type portant sur la péninsule Ibérique, la thèse de Maria Filomena Coelho sur le royaume de Léon, aboutit encore plus tardivement, dans les années 1990, et demeure à ce jour unique en son genre 4. La situation des 1. POWER E. E., Medieval English nunneries 1275-1535, Cambridge, Cambridge University Press, 1922 ; BOYD C. E., A cistercian nunnery in medieval Italy, the story of Rifreddo in Saluzzo, 1220-1300, Cambridge, Harvard University Press, 1943 ; WOOD S., English monasteries and their patrons in the thirteenth century, Londres, Oxford University Press, 1955. 2. HILL B. D., English cistercian monasteries and their patrons in the twelfth century, Chicago, University of Illinois, 1968 ; BROOKE C., « Princes and kings as patrons of monasteries », Il monachesimo e la riforma ecclesiastica (1049-1122). Atti della quarta settimana internazionale di studio, Mendola, 1968, Milan, Vita e Pensiero, 1971, p. 125-152 ; JOHNSON P. D., Prayer, patronage, and power. he abbey of la Trinité, Vendôme, 1032-1187, New York et Londres, New York University Press, 1981, rééd. et trad. française Vendôme, 1997 ; BERMAN C. H., « Fashions in monastic patronage : the popularity of supporting cistercian abbeys for women », Proceedings of the annual meeting of the Western Society for French History, 17, 1990, p. 36-45. 3. PARISSE M., Les nonnes au Moyen Âge, Le Puy, C. Bonneton, 1983 et L’HERMITE-LECLERCQ P., Le monachisme féminin dans la société de son temps. Le monastère de La Celle (XIe – début du XVIe siècle), Paris, Cujas, 1989. Il convient également de mentionner les contributions de VERDON J., « Les moniales dans la France de l’Ouest aux XIe et XIIe siècles. Étude d’histoire sociale », Cahiers de civilisation médiévale, 19, 1979, p. 247-264 ou de AURELL M., « Les cisterciennes et leurs protecteurs en Provence rhodanienne », Les cisterciens de Languedoc (XIIIe-XIVe s.), Toulouse, Privat, 1986, p. 235-267. 4. COELHO M. F., Expresiones del poder feudal : el Císter femenino en León (siglos XII y XIII), Léon, Universidad de León, 2006. Cette édition reproduit le texte de la thèse soutenue en 1993 à l’université Complutense de Madrid. 17 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr LES RELIGIEUSES DE CASTILLE moniales hispaniques demeure ainsi beaucoup moins bien connue que celle de leurs consœurs anglaises, françaises, germaniques ou italiennes, alors même que leurs chartriers, qui n’ont pas subi autant de destructions, permettent de disposer d’informations plus précises qu’ailleurs. Les médiévistes espagnols ont en efet conservé l’habitude, prise au début du XXe siècle et confortée dans les années 1960, d’approcher exclusivement le phénomène monastique en termes d’histoire du droit et d’histoire rurale dans le but de réléchir aux modalités de la domination seigneuriale et aux stratégies économiques des institutions. Au sein même de ces problématiques, la spéciicité du monachisme féminin a été prise en compte tardivement, dans les années 1980, et de manière incomplète, sans conduire à des conclusions tranchées 5. Ces premières recherches ont eu le mérite de signaler que la couronne de Castille, née en 1230 de la réuniication des royaumes de Castille et de Léon, constituait un espace d’étude privilégié dans la Péninsule, car les institutions y étaient plus nombreuses et les sources plus riches et accessibles qu’ailleurs. Elles ont également attiré l’attention sur l’importance cruciale du mouvement cistercien auquel appartenait une large majorité de communautés féminines, notamment les plus puissantes. Cette situation était particulièrement nette dans les premiers temps de leur existence, avant les bouleversements du Moyen Âge tardif. Le monachisme féminin antérieur à l’arrivée des cisterciennes s’inscrivait dans des cadres spéciiquement hispaniques. L’inluence des règles de Fructueux de Braga et d’Isidore de Séville demeura prépondérante jusqu’au XIe siècle, malgré quelques traces précoces d’inluence bénédictine 6. Les religieuses appartenaient alors surtout à des communautés doubles dont les membres étaient unis par des liens de parenté, mais aussi par un pacte 7. Le contexte, en efet, n’était pas favorable à l’apparition d’abbayes exclusivement féminines, car la Castille se constitua aux IXe et Xe siècles par l’occupation 5. L’article de Javier Pérez-Embid (« El Cister femenino en Castilla y León. La formación de los dominios [sg. XII-XIII] », Estudios en memoria del profesor D. Claudio Sánchez-Albornoz, vol. 2, Madrid, Universidad Complutense, 1986, p. 761-796), calqué sur le travail de référence qu’il avait réalisé sur les abbayes cisterciennes masculines de la couronne de Castille (P ÉREZ-EMBID J., El Cister en Castilla y León. Monacato y dominios rurales [siglos XII-XV], Salamanque, Junta de Castilla y León, 1986) laissait l’impression que la méthode de l’étude de groupe était inopérante pour les abbayes féminines. La monographie consacrée par José Manuel Lizoain et Juan José García à la fondation royale de Las Huelgas de Burgos (El monasterio de Las Huelgas. Historia de un señorio cisterciense burgales [siglos XII y XIII], Burgos, Garrido Garrido, 1988), qui n’incluait pas de dimension comparative, a surtout permis de conirmer l’exceptionnalité de cette institution. Enin, la thèse de Maria Filomena Coelho (El Císter femenino en León, op. cit.), dont une moitié était dédiée à ces problématiques, concluait implicitement, de manière peu convaincante, à l’absence d’originalité des cisterciennes léonaises dans leurs stratégies économiques. 6. Une règle de 976 témoigne d’un syncrétisme original entre les traditions hispaniques du « monachisme wisigothique » et la règle bénédictine, dans le cadre du monastère féminin des Santas Nunilo y Alodia, situé près de Nájera. LINAGE CONDE A., Una regla monástica femenina del siglo X : el « Libellus a Regula Sancti Benedicti substractus », Salamanque, Universidad de Salamanca, 1973. 7. ORLANDIS J., Estudios sobre instituciones monásticas medievales, Pampelune, Universidad de Navarra, 1971. 18 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr INTRODUCTION d’une zone frontalière hostile. Si les chrétiens s’implantèrent progressivement entre la cordillère Cantabrique et le Douro par la construction de châteaux et de monastères, ils demeurèrent longtemps sous la menace des razzias lancées depuis Tolède ou Saragosse. Cette situation n’empêchait pas certaines religieuses de commander des religieux qui leur étaient associés, comme celles de Santa María de Piasca au début du Xe siècle et surtout celles de l’infantado de Covarrubias, fondé entre 972 et 978 par les comtes de Castille pour leurs illes. Les principaux centres monastiques, les plus anciens et les plus riches, demeuraient toutefois exclusivement masculins. L’accélération de la difusion en Castille du monachisme bénédictin dans sa forme clunisienne, sous l’impulsion d’Alphonse VI (1072-1109), n’inversa pas fondamentalement cette tendance 8. Les communautés dirigées par des abbesses qui apparurent à ce moment, comme San Clemente de Tolède, pourraient toutefois avoir été bénédictines et féminines. Elles ouvrirent la voie à une première vague de fondation d’abbayes de cisterciennes dans les années 1160. Aborder le cas de communautés de l’ordre cistercien implique cependant de se confronter à une bibliographie assez vaste, dominée par les aspects institutionnels. Dans le cas de la péninsule Ibérique, celle-ci se rapporte très majoritairement aux institutions masculines. La question de l’intégration des abbayes espagnoles dans les réseaux de iliation de l’ordre en occupe le premier plan depuis les recherches que mena le P. Maur Cocheril dans les années 1960 9. Ce moine trappiste de l’abbaye du Port-du-Salut chercha à démontrer l’antériorité et la plus grande inluence de la iliation de Morimond par rapport à celle de Clairvaux en Espagne en scrutant la chronologie des fondations. Sa méthodologie inluença durablement érudits cisterciens et universitaires espagnols. Vicente Ángel Álvarez Palenzuela it ainsi des dates et des processus de fondation l’objet principal de sa thèse doctorale dans les années 1970 10. En 1986, un colloque fut spéciiquement consacré à la question de l’implantation des cisterciens dans la péninsule Ibérique 11. Il fut démontré qu’il était vain de chercher à attribuer une date de fondation à chaque abbaye étant donné la complexité et la variété de processus fondateurs qui pouvaient s’étaler dans le temps, et la piste fut abandonnée 12. Ces travaux avaient cependant répandu l’idée que toutes les 8. LINAGE CONDE A., Los orígenes del monacato benedictino en la península Ibérica, Léon, Centro de estudios e investigación San Isidoro, 1973, 3 vol. 9. COCHERIL M., « L’implantation des abbayes cisterciennes dans la péninsule Ibérique », Anuario de estudios medievales, 1, 1964, p. 217-287, et Études sur le monachisme en Espagne et au Portugal, Paris et Lisbonne, Les Belles Lettres et Livraria Bertrand, 1966. 10. ÁLVAREZ PALENZUELA V. Á., Monasterios cistercienses en Castilla (siglos XII-XIII), Valladolid, Universidad de Valladolid, 1978. 11. La introducción del Císter en España y Portugal. Coloquio, Burgos, 1986, Burgos, La Olmeda, 1991. 12. Voir par exemple, dans la monographie de Moreruela, les rélexions introductives d’ALFONSO ANTÓN M. I., La colonización cisterciense en la meseta del Duero. El ejemplo de Moreruela, Madrid, université Complutense, 1986. Cette thèse doctorale avait été soutenue en 1980. Le point le 19 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr LES RELIGIEUSES DE CASTILLE abbayes féminines étaient intégrées dans le système de iliation cistercien par l’intermédiaire d’une abbaye masculine dont le supérieur jouait, avec le titre d’abbé-père, le même rôle que le « père immédiat » des communautés féminines actuelles. Cette assertion demande cependant toujours à être démontrée de manière aussi rigoureuse que dans l’étude conduite par Alexis Grélois sur la France des XIIe et XIIIe siècles dans sa thèse soutenue en 2003 13. Les études de droit canonique, relues dans les années 1960 à la lumière du combat des trappistines pour s’émanciper de leurs confrères à l’époque du concile du Vatican II, avaient cependant ouvert le débat sur la place originelle des moniales, notamment castillanes, dans l’ordre cistercien. L’autorité importante dont avait très tôt disposé l’abbesse de Las Huelgas de Burgos était bien connue grâce à une thèse largement difusée en raison de la notoriété de son auteur, Josémaría Escrivá de Balaguer 14. Les religieuses considéraient en particulier le chapitre des abbesses cisterciennes, censé s’être tenu régulièrement dans cette abbaye à partir de 1189, comme une preuve de la volonté d’indépendance des cisterciennes primitives ou encore de l’existence oicielle d’une branche féminine de l’ordre dans le royaume de Castille 15. Cette rélexion fut prolongée dans le monde académique par les historiennes du genre, notamment Sally hompson. Elle jugea que les moniales s’étaient dotées de telles structures institutionnelles parce qu’elles étaient alors rejetées par l’ordre cistercien. Cédant à leur pression, les moines blancs se seraient seulement résolus à les accepter en 1213 16. Il s’est avéré cependant que cette évolution s’expliquait avant tout par une expansion générale des compétences administratives du chapitre général de Cîteaux 17. Ces débats contribuèrent quoi qu’il en soit à indiquer l’importance cruciale de la Castille pour l’analyse de la place des moniales dans l’ordre cistercien. plus récent de la chronologie de l’implantation des cisterciens dans la péninsule Ibérique a été réalisé par RUCQUOI A., « Les cisterciens dans la péninsule Ibérique », Unanimité et diversité cistercienne. Filiations, réseaux, relectures du XIIe au XVIIe siècle. Actes du quatrième colloque international du CERCOR. Dijon, 23-25 septembre 1998, Saint-Étienne, université de Saint-Étienne, 2000, p. 487-523. 13. GRÉLOIS A., « Homme et femme il les créa » : l’ordre cistercien et ses religieuses des origines au milieu du XIVe siècle, thèse inédite, Paris, université Paris 4, 2003. 14. ESCRIVÁ DE BALAGUER J., La abadesa de Las Huelgas, estudio teológico jurídico, Madrid, 1944, rééd. Madrid, 1974. 15. Voir par exemple les articles d’Elizabeth (alias Michael) CONNOR, « Le gouvernement des moniales. Point de vue historique », Collectanea cisterciensia, 1972, 34, 3, p. 230-260 et « he abbeys of Las Huelgas and Tart and their iliations », NICHOLS J. A. et SHANK L. T. (dir.), Medieval religious women. 3- Hidden springs, vol. 1, Kalamazoo, Cistercian Publications, 1995, p. 29-48. 16. THOMPSON S., « he problem of the Cistercian nuns in the twelfth and early thirteenth century », BAKER D. (dir.), Medieval women, dedicated and presented to professor Rosalind M. T. Hill on the occasion of her seventieth birthday, Oxford, B. Blackwell, 1978, p. 227-252. La substance de cet article fut reprise dans une synthèse ultérieure du même auteur : Women religious : the founding of English nunneries after the Norman conquest, Oxford, Clarendon Press, 1991, p. 94-112. 17. BAURY G., « Émules puis sujettes de l’ordre cistercien. Les cisterciennes de Castille et d’ailleurs face au Chapitre Général aux XIIe et XIIIe siècles », Cîteaux – Commentarii cistercienses, 52, 1-2, 2001, p. 27-60. 20 INTRODUCTION « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr La présente étude ambitionne d’ainer, grâce à l’étude des cisterciennes castillanes, les réponses apportées jusqu’à présent à ces trois grandes problématiques : la nature des rapports entre les groupes aristocratiques et les communautés religieuses, le rôle institutionnel de Cîteaux dans l’histoire des abbayes et l’éventuelle spéciicité du temporel des cisterciennes. Ce dernier thème pourra servir de révélateur pour déterminer qui, des magnats ou des juristes cisterciens, avaient le plus d’inluence. Ce questionnement impose d’examiner l’histoire des abbayes depuis l’époque des premières fondations, dans les années 1160, jusqu’au début des mutations du Moyen Âge tardif, susceptibles d’avoir bouleversé l’organisation économique des temporels. La césure que produisit en Castille la première grande famine de 1301 peut à cet égard servir de butoir. Le problème du patronage des monastères Une première approche des sources suit en efet pour se convaincre de l’étroitesse des liens qui unirent les abbayes et leurs fondateurs puis leurs descendants. Le terme de patronage a été abondamment utilisé par l’historiographie anglo-saxonne pour désigner ce phénomène. Il pose toutefois problème car ce mot désigne en anglais deux réalités très diférentes, le patronage au sens canonique et le mécénat. Il est aussi employé, dans une acception plus large encore, pour décrire n’importe quel aspect de la relation entre une famille de l’aristocratie et un monastère. Dans ce cas, le concept n’est pas opérant. En revanche, dans le sens restreint qu’il revêt en droit canonique, il constitue une catégorie d’analyse permettant d’apprécier l’inluence des laïcs sur les monastères. Il faut au préalable surmonter une autre diiculté car le terme n’était généralement pas utilisé aux XIIe et XIIIe siècles en référence au monde monastique, soit parce que la situation qu’il désignait paraissait évidente, soit au contraire parce qu’il fallait en taire l’existence ou en minimiser l’importance. Le Moyen Âge central avait hérité de périodes plus hautes une tradition de contrôle des monastères par les élites laïques. Dans l’Espagne wisigothique plus encore que dans le monde franc, l’emprise des puissants s’était développée grâce à la législation de l’Église, qui avait favorisé pendant tout le VIIe siècle l’autonomie des communautés vis-à-vis de l’ordinaire. À partir du VIIIe siècle, la péninsule Ibérique avait ainsi vu se multiplier les monastères privés où les descendants des fondateurs accaparaient la fonction de supérieur et dont le patrimoine demeurait à la disposition de la parentèle 18. Au XIe siècle, la relation avait évolué vers des formes plus féodales, ce dont témoignaient le vocabulaire employé et les manifestations symboliques : 18. ORLANDIS J., « Los monasterios familiares en España durante la Alta Edad Media », Anuario de historia del derecho español, 26, 1956, p. 5-46, réimp. Estudios sobre instituciones monásticas medievales, Pampelune, Universidad de Navarra, 1971, p. 126-164. 21 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr LES RELIGIEUSES DE CASTILLE les aristocrates imposaient leur autorité en tant que senior et defensor d’un monastère et les supérieurs devaient accepter des actes de recommandation mettant en œuvre le rituel de l’immixtio manuum 19. Depuis longtemps, cependant, l’Église aspirait à faire disparaître cette situation en coupant les liens unissant groupes familiaux et communautés religieuses. Dans la Péninsule, elle incita les laïcs à renoncer à leurs monastères privés dès le IXe siècle. Les moines clunisiens et ceux de Saint-Victor de Marseille s’employèrent en ce sens à partir de la seconde moitié du XIe siècle avec l’appui des souverains et du clergé séculier porté par la réforme grégorienne 20. Même si elle constituait un objectif secondaire pour les papes réformateurs, qui cherchaient d’abord à redéinir le rôle des autorités civiles dans les élections épiscopales, l’investiture laïque des abbés fut rejetée dès 1059 par le décret du concile de Rome pour la réforme de l’Église inspiré par Nicolas II. En 1075, les Dictatus papae de Grégoire VII relayèrent cette décision en évoquant spéciiquement la fonction abbatiale. Des interdits circonscrits au monde monastique furent formulés sous l’impulsion d’Urbain II, notamment en 1099, au concile de Rome. En Castille, la responsabilité de les mettre en vigueur incomba aux ordres nouveaux, au premier rang desquels se trouvaient les cisterciens, arrivés au milieu du XIIe siècle. Les sources diplomatiques montrent cependant que des monastères privés subsistaient encore au XIIIe siècle. Les ingérences des laïcs étaient d’ailleurs multiples et régulières à cette époque, dans tous les ordres et dans tout l’Occident, malgré la volonté aichée par l’Église 21. Même si l’ordre cistercien avait vocation à les combattre, il n’est donc pas absurde d’en chercher la trace en son propre sein. Les précautions employées aux XIIe et XIIIe siècles pour qualiier la relation entre les fondateurs et les cisterciennes et le soin pris à éviter d’utiliser le terme de patronage doivent se comprendre dans ce contexte. D’un côté, les canonistes considéraient qu’il s’agissait d’un phénomène éradiqué. De l’autre, les parties prenantes préféraient éviter d’attirer l’attention sur un ensemble de pratiques potentiellement illégales. La situation se rapprochait pourtant d’une autre réalité, reconnue et codiiée par l’Église, la relation entre les laïcs et les églises qu’ils avaient fondées, notamment à l’échelon paroissial. L’origine de ces églises privées ou Eigenkirche a donné lieu à un vif débat au début du XXe siècle entre historiens allemands et français. Les premiers, suivant les travaux d’Ulrich Stutz, y voyaient une inluence des traditions germaniques et dataient en conséquence le phénomène de l’aube 19. LORING GARCÍA M. I., « Nobleza e iglesias propias en la Cantabria altomedieval », Studia historica. Historia medieval, 5, 1987, p. 89-121. 20. RUCQUOI A., « Cluny, el camino francés y la reforma gregoriana », Medievalismo, 20, 2010, p. 97-122. 21. BERLIÈRE U., « Les élections abbatiales au Moyen Âge », Académie royale de Belgique. Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques. Mémoires, 2e série, 20, 3, 1927. WOOD S., English monasteries and their patrons, op. cit. 22 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr INTRODUCTION du Moyen Âge 22. Les seconds démontrèrent toutefois qu’il s’agissait d’un phénomène d’essence féodale qui apparut seulement au IXe siècle 23. Quoi qu’il en soit, à partir du XIe siècle, la papauté ixa au moyen des décrétales un cadre légal qui déinissait le jus patronatus ou « droit de patronage » sur les églises 24. Le Decretum de Gratien contribua de manière décisive à le difuser au cours de la seconde moitié du XIIe siècle 25. Les Siete Partidas, une compilation juridique rédigée entre 1256 et 1265 sous la direction d’Alphonse X, attestent de sa réception dans la couronne de Castille 26. Les textes normatifs semblent indiquer que le patronage consistait en une relation contraignante pour les deux parties, impliquant des droits et des devoirs réciproques. Elle reposait donc sur un contrat qui pouvait être ixé à l’écrit, comme le conirmèrent les cisterciens eux-mêmes en exigeant la rédaction d’un acte en 1268 dans l’abbaye féminine castillane de Herce, mais qui pouvait aussi demeurer implicite 27. L’engagement mutuel découlait fondamentalement, selon les Partidas, de la donation initiale octroyée par les aristocrates, qui portait à la fois sur le terrain, les moyens de construire le bâtiment et le temporel ou dot de l’église. Ce geste valait automatiquement aux donateurs certains droits ou honneurs (honras) et revêtait donc un caractère synallagmatique. Il oblige à reconsidérer la nature de la « donation initiale » sous l’angle des catégories juridiques et de l’anthropologie sociale. Les concepts de « don réciproque » ainsi que de « contre-don » renvoient tout d’abord aux travaux réalisés au XIXe siècle par les historiens du droit germanique médiéval. Marcel Mauss reprit ces catégories dans les années 1920 pour proposer un schéma explicatif du fonctionnement de groupes humains qui se diférenciaient fortement de la société occidentale en ce qu’ils n’étaient pas d’abord structurés par l’échange marchand 28. Il séduisit nombre de médiévistes et non des moindres. Georges Duby, par exemple, appliqua son analyse à la société féodale, dont il expliqua 22. STUTZ U., Die Eigenkirche als Element des mittelalterlich-germanischen Kirchenrechts, Berlin, 1895, rééd. Darmstadt, Wissentschaftliche Buchgesellschaft, 1959. 23. IMBART DE LA TOUR P., Les origines religieuses de la France. Les paroisses rurales du IVe au XIe siècle, Paris, Picard, 1900 (éditions d’articles de la Revue historique des années 1896-1898). THOMAS P.-L.-J., Le droit de propriété des laïques sur les églises et le patronage laïque au Moyen Âge, Paris, E. Leroux, 1906. 24. LANDAU P., Ius patronatus. Studien zur Entwicklung des Patronats im Dekretalenrecht und der Kanonistik des 12. und 13. Jahrhunderts, Cologne et Vienne, Böhlau, 1975. 25. STUTZ U., « Gratian und die Eigenkirche », Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte. Kanonistische Abteilung, 1, 1911, p. 1-33. 26. LÓPEZ DE TOVAR G. (éd.), Las Siete Partidas del sabio rey don Alonso el Nono, nuevamente glosadas, 8 vol., Salamanque, A. de Portonaris, 1555, (consulté et cité dans son édition fac-similé, 3 vol., Madrid, Boletín Oicial del Estado, 1974), Partida I, título XV, vol. 1, fo 113 vo-119 vo. 27. HER 86. 28. MAGNANI E., « Les médiévistes et le don avant et après la théorie maussienne », MAGNANI E. (dir.), Don et pratiques sociales. héories et pratiques croisées, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2007, p. 15-28. MAUSS M., « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », L’année sociologique, nouv. série, 1 (1923-1924), 1925, p. 30-186. 23 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr LES RELIGIEUSES DE CASTILLE le fonctionnement par une circulation intense de dons et de contre-dons formant des réseaux d’échanges non commerciaux 29. Les réinterprétations du modèle maussien proposées dans les années 1990 par Annette Weiner et Maurice Godelier ont permis d’ainer la rélexion sociologique 30. Alain Testart a ainsi pu remettre radicalement en cause les concepts maniés dans ce long débat sur le don, et par là le vocabulaire utilisé, en démontrant notamment que le syntagme « don réciproque » contenait un paradoxe 31. Des historiens ont récemment conirmé que le Moyen Âge ignorait largement le don pur et gratuit. Les gestes auparavant considérés comme tels étaient en réalité partiels ou théoriques et mettaient en jeu une logique de réciprocité, ou s’intégraient plus globalement dans un système d’échange généralisé semblable au schéma élaboré par Claude Lévi-Strauss pour le don d’épouses. Beaucoup d’actes médiévaux que les textes désignaient comme des « donations » doivent ainsi être simplement interprétés comme des échanges. Il s’agit désormais d’appliquer cet outillage conceptuel à une période plus tardive que celle étudiée par Georges Duby. La Castille des XIIe et XIIIe siècles ayant connu une monétarisation plus précoce et poussée que le reste de l’Occident, l’importance économique des systèmes de dons et d’échanges devrait logiquement être moins marquée. Dans le cadre du droit ecclésiastique, cependant, ceux-ci ofraient un moyen commode de contourner certains interdits canoniques. Aussi peut-on envisager d’emblée l’hypothèse d’une continuité de ce système ou au moins celle d’une similitude. L’ordre cistercien et les moniales La contradiction entre les sources législatives cisterciennes, qui nièrent jusqu’en 1206 l’existence d’abbayes féminines soumises à l’autorité du chapitre général de Cîteaux, et la situation de nombreuses moniales que les contemporains considéraient comme cisterciennes avant cette date, a très tôt attiré l’attention des historiens. La rélexion fut d’abord juridique, notamment en raison de l’importance de l’histoire du droit dans l’école historique allemande de la in du XIXe siècle. En 1871, dans une vaste synthèse sur les cisterciens du Nord-Est de l’Allemagne, Franz Winter remarqua le premier ce décalage. Il l’expliqua en imaginant l’existence de deux catégories de cisterciennes. Seules celles qui faisaient partie de congrégations ailiées tout entières à l’ordre à un moment précis, une minorité, possédaient la qualité de membres de l’ordre pleno jure. Les autres ne pouvaient être considérées comme de véritables membres avant le statutum du chapitre général de 1213 qui en reconnaissait l’existence. Par ailleurs, les multiples 29. DUBY G., Guerriers et paysans, VIIe-XIIe siècles. Premier essor de l’économie européenne, Paris, Gallimard, 1973, p. 60-69. 30. WEINER A., Inalienable possession. he paradox of keeping-while-giving, Berkeley, University of California Press, 1992 ; GODELIER M., L’énigme du don, Paris, Fayard, 1996. 31. TESTARD A., Critique du don. Études sur la circulation non marchande, Paris, Syllepse, 2007. 24 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr INTRODUCTION restrictions imposées à ces communautés par les capitulants après cette date, notamment les statuta de 1220 et de 1228 interdisant toute nouvelle fondation, ainsi que l’obtention en 1251 d’un privilège pontiical autorisant à rejeter les futures demandes, semblaient indiquer que l’ordre avait accepté les moniales à reculons. Il aurait seulement cédé à la pression des intéressées, qui faisaient face à une pénurie d’institutions religieuses susceptibles de les accueillir. Le cas particulier d’Hildegonde, qui avait dû se travestir pour intégrer le monastère masculin de Schönau où elle init ses jours, confortait cette analyse 32. L’approche juridique du problème des cisterciennes connut une longue postérité dans l’historiographie allemande. L’étude réalisée en 1954 par Ernst Günther Krenig en est un bon exemple. Réléchissant à l’application du droit cistercien aux moniales, il a notamment considéré que les moniales cisterciennes pleno jure bénéiciaient entre autre de l’exemption à l’égard de l’ordinaire, par opposition à leurs consœurs demeurées en dehors de l’ordre. Les rélexions publiées en 1990 par Dom Jean Leclerc, qui a voulu distinguer vraies et fausses cisterciennes par l’emploi de guillemets (cisterciennes et « cisterciennes »), témoignent de la réception de cette théorie par l’historiographie française 33. Plus récemment, Alexis Grélois, s’appuyant sur le cas du Nord de la France, a prolongé et ainé cette rélexion en distinguant quatre catégories diférentes de cisterciennes en fonction de leurs rapports institutionnels avec l’ordinaire : celles qui appartenaient d’une manière ou d’une autre à l’ordre cistercien (le cas le plus fréquent), celles qui avaient adopté les coutumes cisterciennes mais étaient placées sous la tutelle épiscopale, celles qui avaient été exclues de l’ordre (un cas rare) et celles qui avaient échoué à en faire partie bien qu’elles en aient adopté les usages (une situation courante dans l’espace germanique, rare en France) 34. L’existence de diférents statuts de cisterciennes et l’apparente réticence des législateurs à accepter les femmes donnèrent matière à réléchir à l’histoire du genre à partir des années 1960. L’inléchissement se produisit tout d’abord dans la thèse de droit canonique soutenue en 1960 par Micheline Pontenay de Fontette 35. Reprenant l’idée que l’ordre cistercien s’était diicilement résolu à tolérer les religieuses en son sein au début du XIIIe siècle, et seulement en réponse à des pressions extérieures, elle en conclut que, hormis le cas particulier de quelques abbés, l’ordre cistercien dans son ensemble avait rejeté les religieuses au XIIe siècle. L’idée était confortée par la réputation de misogynie faite à Bernard de Clairvaux par 32. WINTER F., Die Cistercienser des nordöstlichen Deutschlands, vol. 2, Zweiter heil : Vom Auftreten der Bettelorden bis zum Ende des 13. Jahrhunderts, Gotha, F. A. Berthes, 1871, p. 1-2. 33. LECLERCQ J., « Cisterciennes et illes de S. Bernard. À propos des structures variées des monastères de moniales au Moyen Âge », Studia monastica. Commentarium ad rem monasticam investigandam, 32, 1, 1990, p. 139-156. 34. GRÉLOIS A., « Homme et femme il les créa », op. cit., p. 487-490. 35. PONTENAY DE FONTETTE M., Les religieuses à l’âge classique du droit canon. Recherche sur les structures juridiques des branches féminines des ordres, Paris, Librairie Philosophique, 1967. 25 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr LES RELIGIEUSES DE CASTILLE les historiens du monachisme. Au même moment, au sein de la Famille cistercienne, les moniales utilisèrent ces recherches pour renégocier leur statut dans le contexte du concile Vatican II. Les trappistines, notamment, tinrent entre les années 1960 et 1970 de nombreuses réunions où elles questionnaient l’autorité qu’exerçait sur elles le Chapitre Général, qui persistait à refuser leur présence, ou celle de leur Père immédiat, désigné sans leur consentement 36. Pour appuyer leurs revendications, elles réinterprétèrent l’histoire des cisterciennes de manière provocatrice : l’intégration des cisterciennes à l’ordre au XIIIe siècle impliquait pour elles la soumission à une autorité nouvelle et donc une perte d’autonomie, un recul et non un progrès dans leur pratique monastique. En comparaison, le XIIe siècle fut perçu comme une période bénie d’indépendance des moniales. Un article célèbre de l’historienne Sally hompson, paru en 1978, donna cependant un large écho aux seules conclusions de Micheline Pontenay de Fontette, réécrites en termes de rapports de pouvoir entre les sexes. La prise en compte des moniales à partir de 1213 par le chapitre général de Cîteaux marquait pour elle une victoire des femmes sur la misogynie des moines blancs grâce à l’appui de forces extérieures, la grande aristocratie, les princes et la papauté. Les mesures restrictives qu’il imposa en 1220, 1228 et 1251 pour l’intégration de nouvelles communautés féminines témoignaient de la poursuite de la lutte 37. Cette rélexion s’inscrivait dans la tradition des historiennes anglaises des religieuses. La monographie pionnière réalisée par Catherine Boyd dans les années 1940 sur l’abbaye italienne de Rifreddo di Saluzzo avait déjà fourni des éléments mettant en évidence le caractère tendu des relations locales entre moines et moniales de l’ordre cistercien 38. Les progrès réalisés par la suite dans le traitement de ce problème institutionnel vinrent des monographies régionales qui n’avaient pas encore été systématiquement utilisées dans cette optique. Grâce à son étude des cisterciennes suisses, Brigitte Degler-Spengler nuança en 1982 les thèses de l’histoire du genre en observant que l’ordre cistercien ne chercha jamais véritablement à tenir les moniales à l’écart 39. Les statuts restrictifs pouvaient 36. Ces réunions ne donnèrent cependant pas lieu à des recherches approfondies. Les points de vue qui y furent exposés furent relatés par des confrères amis, souvent leur chapelain : HERMANS V., « La situation canonique de nos moniales cisterciennes S. O. », Collectanea cisterciensia, 28, 1, 1966, p. 35-47 ; HERMANS V., « Le père immédiat de nos moniales », ibid., 31, 1, 1969, p. 64-73 ; HERMANS V., « L’appartenance de moniales cisterciennes à l’ordre (OCSO) », ibid., 37, 2, 1975, p. 130-138 ; VEILLEUX A., « Les moniales cisterciennes à la croisée des chemins », ibid., 32, 3, 1970, p. 314-320 ; BEYER J., « Le gouvernement des moniales cisterciennes », ibid., 32, 4, 1970, p. 334-341. Les développements historiques les mieux étayés furent ceux de Colette F RIEDLANDER, « Le gouvernement extérieur des moniales », Collectanea cisterciensia, 44, 2, 1982, p. 101-110 et d’Elizabeth (alias Michael) CONNOR, dans « Le gouvernement des moniales. Point de vue historique », op. cit. 37. THOMPSON S., « he problem of the Cistercian nuns », loc. cit. 38. BOYD C. E., A cistercian nunnery in medieval Italy, op. cit. 39. DEGLER-SPENGLER B., « Die Zisterzienserinnen in der Schweiz », Helvetia Sacra. Abteilung III : Die Orden mit Benediktinerregel. 3- Die Zisterzienser und Zisterzienserinnen, die reformierten Bernhardinerinnen, die Trappisten und Trappistinnen und die Wilhelmiten in der Schweiz, vol. 2, 26 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr INTRODUCTION s’expliquer par les diicultés matérielles et institutionnelles provoquées par l’alux des demandes de fondations et par la pression exercée depuis Rome. En 1993, les travaux d’Anja Ostrowitzki sur la province ecclésiastique de Cologne conirmèrent le statut pleinement cistercien de la plupart des monastères féminins étudiés à la in du XIIe siècle grâce à un certain nombre d’indices convergents 40. La contradiction entre la législation du Chapitre Général et la situation de fait des cisterciennes du XIIe et, pour certaines, du XIIIe siècle, que l’histoire du genre avait un temps expliqué, posait donc à nouveau problème. Constance Berman avança dans les années 1990 une solution séduisante, rappelant qu’il fallait tenir compte de l’évolution institutionnelle de l’ordre cistercien. Ainsi la distinction entre vraies et fausses cisterciennes ne pouvait avoir de sens pour le XIIe siècle : la déinition même de l’ordre étant alors loue, il n’existait pas de procédure d’incorporation permettant d’établir une telle typologie 41. La chronologie du processus de structuration institutionnelle qu’elle proposa en se fondant sur un réexamen des sources sous l’angle codicologique fut cependant réfutée de manière convaincante par le P. Chrysogonus Waddell 42. L’évolution interne du chapitre général de Cîteaux, de son fonctionnement et surtout des compétences qu’il s’attribuait constitue pourtant la clé de l’interprétation, comme l’a montré une récente relecture des statuta 43. Les capitulants ne se préoccupèrent pas de contrôler l’utilisation de l’adjectif cistercien avant la in des années 1190. Ils acceptèrent pour la première fois en 1206 l’idée qu’une abbaye féminine pouvait relever de sa compétence. Avant cette date, les relations entre des moniales et des moines cisterciens prenaient donc les formes les plus variées. À partir de 1213, le Chapitre Général usa de l’autorité nouvelle qu’il revendiquait et légiféra spéciiquement pour les moniales, insistant notamment sur la rigueur de la clôture. Il chercha aussi à se doter d’un relais local en attribuant à chaque communauté féminine un abbé-père cistercien à qui il déléguait son autorité. Il s’octroya enin un Berne, Francke, 1982, p. 507-574. Ses théories furent également exposées dans « La iliation de Tart. L’organisation des premiers monastères de cisterciennes », Naissance et fonctionnement des réseaux monastiques et canoniaux. Actes du 1er colloque international du CERCOM, Saint-Étienne, 16-18 septembre 1985, Saint-Étienne, université de Saint-Étienne, 1991, p. 53-60, puis dans « The incorporation of Cistercian nuns into the order in the twelfth and thirteenth century », NICHOLS J. A. et SHANK L. T. (dir.), Medieval religious women. 3- Hidden springs, vol. 1, Kalamazoo, Cistercian Publications, 1995, p. 85-134. 40. OSTROWITZKI A., Die Ausbreitung der Zisterzienserinnen im Erzbistum Köln, Cologne, Böhlau, 1993. 41. BERMAN C. H., « Cistercian nuns and the development of the order : the abbey at Saint-Antoinedes-Champs outside Paris », ELDER E. R. (dir.), he joy of learning and the love of God. Studies in honor of Jean Leclercq, Kalamazoo, Cistercian Publications, 1995, p. 121-156 ; ELDER E. R. (dir.), « Were there twelfth-century cistercian nuns ? », Church history, 68, 4, décembre 1999, p. 824-864. 42. BERMAN C. H., he cistercian evolution : the invention of a religious order in twelfth-century Europe, Philadelphie, University of Pennsylvania, 2000 ; WADDELL C., « he myth of cistercian origins : C. H. Berman and the manuscript sources », Cîteaux – Commentarii cistercienses, 51, 3-4, 2000, p. 299-386. 43. BAURY G., « Émules puis sujettes de l’ordre cistercien », loc. cit. 27 LES RELIGIEUSES DE CASTILLE pouvoir judiciaire en tranchant les causes qui étaient portées à sa connaissance. En termes de rapports de force entre moines et moniales, il est possible de conclure que l’autonomie des moniales se réduisit nettement au terme de ce processus. Pour le mener à bien, les capitulants se heurtèrent aux autres acteurs de la vie de ces institutions, les évêques, les souverains, les papes, les abbés ou abbesses avec qui les communautés avaient antérieurement tissé des liens, mais aussi les patrons. « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr Les abbayes féminines et l’économie cistercienne Dans le sillage de l’école des Annales, l’essor de l’histoire économique conduisit les historiens français à s’intéresser dès la in des années 1940 au rôle spéciique des cisterciens dans les transformations des campagnes occidentales aux XIIe et XIIIe siècles. Les travaux de jeunesse consacrés à ce thème par Robert Fossier passèrent plutôt inaperçus 44. En revanche, la rélexion géographique que Charles Higounet mena sur Vaulerent, une grange de Chaalis, it date après sa publication en 1965. L’étude de cas lui permit de mettre en évidence l’originalité de la gestion des temporels cisterciens au XIIe siècle, qui reposait sur le faire-valoir direct et entraînait un remembrement du terroir. Pendant le siècle suivant, ces pratiques évoluèrent vers le faire-valoir indirect, sans que l’on puisse considérer cette transformation comme la conséquence d’une décadence économique, bien au contraire, puisque les moines y pratiquaient une méthode moderne de gestion des terres, la rotation triennale des cultures 45. Les fondateurs de Cîteaux avaient en efet formulé une série d’obligations et d’interdits qui devaient permettre la rénovation des pratiques monastiques. Certains de ces préceptes, notamment l’obligation du travail manuel ou encore le rejet des contacts quotidiens avec le reste de la société, créèrent de réelles contraintes économiques. Les premiers cisterciens refusèrent les revenus seigneuriaux et ecclésiastiques et s’obligèrent ainsi à exploiter leurs biens en faire-valoir direct. Les premiers statuts du Chapitre Général faisant état de ces règlements remonteraient, non à 1134 comme cela est habituellement airmé, mais aux années 1120 et à l’abbatiat d’Étienne Harding, selon la dernière édition critique des textes cisterciens primitifs 46. Pour rendre leurs temporels productifs, ils furent rapidement 44. Sa thèse de l’École des chartes, La vie économique de l’abbaye de Clairvaux, de l’origine au XVIe siècle, Paris, 1949, demeura en efet inédite, et ses deux articles, « Les granges de Clairvaux et la règle cistercienne », Cîteaux in de Nederlanden, 6, 1955, p. 259-266, ou « La place des cisterciens dans l’économie picarde des XIIe et XIIIe siècles », Aureavallis. Mélanges historiques réunis à l’occasion du 9e centenaire de l’abbaye d’Orval, Liège, Solédi, 1975, p. 273-281, rééd. dans Hommes et villages d’Occident au Moyen Âge, Paris, Sorbonne, 1992, p. 389-400, restent méconnus. 45. HIGOUNET C., La grange de Vaulerent. Structure et exploitation d’un terroir cistercien de la plaine de France, XIIe-XVe siècles, Paris, SEVPEN, 1965. 46. Les premiers textes normatifs relatifs à l’économie se trouvent dans les Instituta Generalis Capituli, une codiication, réalisée vers 1147, de décisions du Chapitre Général remontant jusqu’à l’abbatiat 28 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr INTRODUCTION conduits à concevoir des solutions originales. Ils mirent en culture de nouveaux terroirs, rationalisèrent la gestion de leurs domaines en les scindant en granges autonomes et employèrent systématiquement convers ou salariés pour travailler leurs terres. Ces traits caractérisaient au XIIe siècle ce que les historiens s’accordent à appeler « l’économie cistercienne ». Les diverses études régionales présentées lors des Journées de Flaran qui se tinrent en 1981 permirent de progresser dans l’étude de l’abandon progressif de ce particularisme. Les premiers signes de renoncement aux idéaux primitifs apparurent au milieu du XIIe siècle, et l’évolution s’accéléra dans les années 1180 47. Elle fut sans doute plus rapide et prononcée dans les espaces méridionaux, comme l’a conirmé par la suite la monographie de Grandselve réalisée par Mireille Mousnier pour sa thèse doctorale soutenue en 1982 ou l’étude régionale publiée en 1986 par Constance Berman 48. En Espagne, l’économie cistercienne suscita moins d’intérêt qu’en France. L’attention des ruralistes était accaparée par la thèse que José Ángel García de Cortázar consacra en 1967 au monastère bénédictin de San Millán de la Cogolla 49. Ses innovations méthodologiques exercèrent une inluence considérable sur les médiévistes espagnols, au point de donner naissance à un genre historiographique à la longue postérité, l’étude de temporel monastique 50. Les travaux réalisés sur ce modèle, inspirés par la pensée marxiste, portèrent essentiellement leur attention sur l’existence de stratégies d’acquisition et de gestion des propriétés qui s’adaptaient notamment à la conjoncture économique. Beaucoup examinèrent en outre de près les aspects juridiques de la domination seigneuriale, s’inscrivant dans une tradition nationale d’histoire du droit. La rélexion sur une éventuelle spéciicité cistercienne passait au second plan. d’Étienne Harding, mais postérieures à la Carta Caritatis Prior de 1119. Parmi les plus anciennes normes, remontant donc aux années 1119-1133, se trouvent les Instituta. Les chapitres VIII et IX concernaient respectivement le « travail manuel » (les tâches agricoles ou celles liées à l’élevage que les convers efectuaient dans les granges), le statut des convers et autres salariés travaillant dans les granges et l’interdiction des revenus ecclésiastiques et seigneuriaux. W ADDELL, C., Narrative and legislative texts from early Cîteaux, Scourmont, Cîteaux – Commentarii cistercienses, 1999, p. 327-328. Le premier éditeur des Statuta avait pourtant bien précisé qu’il éditait pour cette date de 1134 une compilation de décisions prises les années précédentes (Statuta, vol. 1, p. 12-33). 47. L’économie cistercienne. Géographie, mutations, du Moyen Âge aux Temps Modernes. Centre culturel de l’abbaye de Flaran. 3es Journées internationales d’histoire, 16-18 septembre 1981, Auch, 1983. 48. MOUSNIER M., L’abbaye cistercienne de Grandselve et sa place dans l’économie et la société méridionales, XIIe-XIVe siècles, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2006 ; BERMAN C. H., Medieval agriculture. he Southern French countryside and the early Cistercians. A study of forty-three monasteries, Philadelphie, he American Philosophical Society, 1986. 49. GARCÍA DE CORTÁZAR J. Á., El dominio del monasterio de San Millán de la Cogolla (siglos X a XIII). Introducción a la historia rural de Castilla altomedieval, Salamanque, Universidad de Salamanca, 1969. 50. REGLERO DE LA FUENTE C., « Un género historiográico : el estudio de dominios monásticos en la corona de Castilla », DE LA IGLESIA DUARTE J. I. (dir.), Monasterios, espacio y sociedad en la España cristiana medieval. XXa semana de estudios medievales, Nájera, del 3 al 7 de agosto de 2009, Logroño, Instituto de Estudios Riojanos, 2010, p. 33-75. 29 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr LES RELIGIEUSES DE CASTILLE La monographie du monastère galicien de Sobrado réalisée par María del Carmen Pallares Méndez en 1979 apporta une première contribution relative aux cisterciens, sans toutefois aborder de front le problème de l’économie cistercienne 51. Isabel Alfonso Antón démontra peu après, dans la thèse qu’elle soutint en 1980 sur le temporel de Moreruela, que le faire-valoir indirect avait coexisté sous diférentes formes avec les pratiques de l’économie cistercienne dès l’arrivée des moines blancs, dans les années 1140, et ce au cœur du royaume de Léon 52. En 1986, Javier PérezEmbid publia une première synthèse sur les domaines cisterciens castillans et léonais. Il conirma que l’on ne pouvait évoquer à aucun moment l’existence d’une véritable « économie cistercienne » en Castille. Dès l’introduction de l’Ordre dans le royaume, il ne pouvait être question que d’une « économie des cisterciens ». L’exploitation directe et l’emploi de convers y jouaient un rôle plus important que chez les autres grands propriétaires fonciers, mais jamais exclusif. Cette spéciicité s’efaça par ailleurs progressivement au cours du XIIIe siècle 53. Les cisterciennes castillanes suscitèrent moins d’études de ce type, pour des raisons d’abord liées à la quantité de sources disponibles et à leur accessibilité. Une seule monographie fut réalisée, celle de Las Huelgas de Burgos en 1988. Elle visait avant tout à décrire un domaine seigneurial de taille et de statut exceptionnels 54. Javier Pérez-Embid avait auparavant réalisé une première synthèse sur les cisterciennes de Castille et de Léon en examinant un ensemble hétérogène formé par les six monastères dont la documentation était la plus abondante, Las Huelgas, Vileña, San Andrés de Arroyo, Carrizo, Gradefes et Otero de las Dueñas. Il parvint à dégager certaines caractéristiques économiques communes, comme l’importance de la donation initiale ou la rareté de l’exploitation directe 55. Plus récemment, une tentative similaire portant sur Las Huelgas, Carrizo, Gradefes et Ferreira de Pantón a souligné l’importance des clercs et des familiers pour le dynamisme économique des institutions 56. Le royaume de Léon a été étudié plus en profondeur en 1993 par Maria Filomena Coelho à travers une synthèse portant sur les trois principaux monastères de la région, Carrizo, Gradefes et Otero de las Dueñas. Il en ressortit que les communautés de cisterciennes se comportaient en seigneurs ordinaires 57. C’est 51. PALLARES MÉNDEZ M. C., El monasterio de Sobrado : un ejemplo de protagonismo monástico en la Galicia medieval, La Corogne, Diputación Provincial, 1979. 52. ALFONSO ANTÓN M. I., Moreruela, op. cit. 53. PÉREZ-EMBID J., El Cister en Castilla y León, op. cit. 54. LIZOAIN GARRIDO J. M. et GARCÍA GONZÁLEZ J. J., El monasterio de Las Huelgas, op. cit. 55. PÉREZ-EMBID J., « El Cister femenino en Castilla y León », loc. cit. 56. MARIÑO VEIRAS D., « La influencia espiritual, fiscal y financiera en la economía de los monasterios de la rama femenina del Císter en los reinos de León y Castilla (1160-1260) », GARCÍA DE CORTÁZAR J. Á. et TEJA CASUSO R. (dir.), Monasterios cistercienses en la España medieval, Aguilar de Campoo, Fundación Santa María la Real, 2008, p. 115-135. 57. COELHO M. F., El Císter femenino en León, op. cit. 30 INTRODUCTION également l’impression qui se dégage du chapitre consacré à ce thème dans la récente monographie de Herce 58. Ailleurs en Occident, les communautés féminines de l’ordre cistercien n’ont pas non plus suscité d’études importantes qui pourraient constituer des repères permettant de mettre en évidence une possible spéciicité castillane 59. « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr Une approche par échantillonnage Les travaux précédemment consacrés aux religieuses castillanes ont mis en lumière diférents écueils méthodologiques. Privilégier l’étude d’une institution unique risque de faire perdre de vue l’importante diversité des situations qui se devine. Par ailleurs, seul le chartrier de Las Huelgas atteint une taille suisante pour permettre une monographie. À l’inverse, l’étude statistique d’un ensemble régional, déjà tenté pour la couronne de Castille, semble conduire à une impasse. Aussi a-t-il paru opportun de se tourner vers une solution intermédiaire consistant à examiner en priorité les sources diplomatiques d’un échantillon d’institutions considéré comme représentatif. Le choix s’est arrêté sur un ensemble de trois abbayes présentant une forte cohérence. Les communautés de Vileña, Cañas et Herce, situées dans le nord-est du royaume de Castille, à proximité de la frontière navarraise, furent en efet fondées par les membres d’une même dynastie de magnats castillans, les ricoshombres Haro 60. Ce point commun est susceptible de faciliter l’analyse des liens unissant les cloîtres et l’aristocratie. Les dates de fondation (1169 pour Cañas, 1222 pour Vileña et 1246 pour Herce) s’échelonnent dans le temps sur près de 80 ans, ce qui ofre la possibilité d’observer d’éventuelles évolutions dans les processus institutionnels, en particulier dans l’attitude et le rôle de l’ordre cistercien. Leur importance apparaît initialement moyenne, ce qui en fait de bons exemples des abbayes de cette catégorie. Elles étaient suisamment proches les unes des autres (à vol d’oiseau, 50 km séparent Vileña de Cañas et Herce se trouve à 80 km de Cañas) pour que l’on ne puisse pas considérer a priori que leur environnement ait pu seul les conduire à suivre des trajectoires divergentes. En revanche, elles étaient suisamment distantes pour se trouver au cœur de petites régions bien individualisées, la Bureba, la Haute Rioja et la Basse Rioja, garantissant ainsi une certaine variété des contextes naturels, économiques ou géopolitiques. Les trois institutions demeurent relativement méconnues. Cañas et Herce ont seulement été l’objet, dans les années 1980, de mémoires 58. PÉREZ CARAZO P., Santa María de Herce y su abadengo en la Edad Media, Logroño, IER, 2008. 59. En France, il faut se contenter de travaux académiques de portée limitée, comme le mémoire de maîtrise consacré au temporel de l’abbaye de Maubuisson : BONIS A., Abbaye cistercienne de Maubuisson (Saint-Ouen-l’Aumône, Val-d’Oise). La formation du temporel (1236 à 1356), Saint-Ouen-L’Aumône, Service départemental d’archéologie du Val-d’Oise, 1990. 60. Voir cartes 1 et 2 en annexe. 31 LES RELIGIEUSES DE CASTILLE de second cycle dirigés à l’université de Saragosse par Antonio Ubieto Arteta. Leur apport principal consistait en une première transcription des documents 61. L’un des auteurs, Pedro Pérez Carazo a poursuivi ses recherches, soutenant en 2001 une thèse sur le monastère de Herce qui aboutit à une publication en 2008 62. Très érudite et exhaustive, sa recherche représente un apport important à la connaissance de la Basse Rioja médiévale, mais ses analyses ne mettent pas le monastère en perspective dans l’histoire du royaume ou de l’ordre cistercien. « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr Un lignage de ricoshombres : les Haro Ce groupe familial était originaire de Navarre. Les aïeux des fondateurs de Cañas avaient gouverné au XIe siècle, sous l’autorité du roi de Pampelune, les territoires basques de Biscaye avec la fonction de comte. Lors de l’annexion de la moitié occidentale de ce royaume en 1076, ils passèrent sous la domination du roi de Castille et choisirent de servir idèlement leur nouveau souverain pour retrouver une position politique prééminente 63. Ils y parvinrent d’abord brièvement grâce à la proximité entre Lope Díaz Ier (1126-1170) et le roi Sanche III (1157-1158), qui avait fait de lui son alférez (porte-étendard). Son héritier, Diego López II de Haro (1162-1214), œuvra à la promotion de son lignage en tirant un maximum de proit de ses exils, parfois volontaires, dans les royaumes voisins 64. Il se hissa alors, en termes de pouvoir et de prestige, au niveau des Lara et des Castro, les plus puissants magnats, ou ricoshombres, du royaume de Castille. Sa stratégie fut imitée et systématisée par ses successeurs qui connurent tous des phases de conlit avec le souverain. Leur ief de Biscaye leur ofrait alors un commode nid d’aigle à partir duquel ils n’hésitaient pas à mener des razzias dans la Castille septentrionale. Poussant encore plus loin cette logique, Lope Díaz III de Haro joua à partir des années 1270 un rôle moteur dans les révoltes nobiliaires contre Alphonse X le Sage. Cela lui valut une position de force au moment de l’accession diicile de Sanche IV, en 1284, et il devint le principal conseiller du roi, un privado, en 1287. Cet apogée fut de courte durée, car le roi it supprimer l’année suivante ce personnage devenu trop encombrant. Son frère et successeur, Diego López V de Haro, combattit Sanche IV depuis l’Aragon, puis réintégra la société politique castillane après la mort de 61. JIMÉNEZ MARTÍNEZ C., Santa María de Cañas (1169-1474), 2 vol., mémoire inédit, Saragosse, Universidad de Zaragoza, 1985 et PÉREZ CARAZO P., El monasterio de Santa María de Herce en la Edad Media, 2 vol., mémoire inédit, Saragosse, Universidad de Zaragoza, 1986. 62. PÉREZ CARAZO P., Santa María de Herce, op. cit. 63. Cf. tableau de iliation en annexe. 64. BAURY G., « Diego López “le Bon”, Diego López “le Mauvais”. Comment s’est construite la mémoire d’un magnat castillan du règne d’Alphonse VIII », Berceo. Revista riojana de ciencias sociales y humanidades, 144, 2003, p. 37-92. 32 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr INTRODUCTION celui-ci, en 1295. Il joua les premiers rôles dans la guerre civile qui agita le début du règne de Ferdinand IV et la régence de María de Molina, mais il perdit Biscaye. La dynastie s’éteignit avec son ils, Lope Díaz IV de Haro, disparu sans héritier en 1322 65. Cañas, Vileña et Herce furent les seuls monastères fondés par le lignage pendant ces deux siècles et demi 66. Les Haro nouèrent également des relations étroites avec les bénédictins de San Millán de la Cogolla, au début du XIIe siècle, puis avec les clunisiens de Santa María de Nájera, aux XIIe et XIIIe siècles, mais ces institutions préexistaient à leur arrivée en Castille. Parce qu’il fut répété à trois reprises, le choix de créer une abbaye de moniales constituait donc une stratégie réléchie du groupe aristocratique. Les trois fondations eurent toutefois chacune une place bien spéciique dans l’histoire familiale, ce qui pouvait entraîner d’importantes nuances dans les manifestations du patronage. L’abbaye de Cañas fut fondée en 1169 par un chef de famille puissant mais vieillissant, Lope Díaz Ier, et sa jeune épouse Aldonza (elle lui survécut près de quarante ans) à qui l’institution était sans doute destinée. Il la dota de domaines importants situés à proximité du cœur de son pouvoir, la ville de Nájera dont il était le comte 67. Il la défendait au nom de la Castille contre l’expansionnisme territorial du royaume de Navarre, restauré en 1134, qui occupait alors certains territoires castillans en Rioja, notamment les environs de Logroño. Une ille des comtes de Nájera, Urraca, créa en 1222 l’abbaye de Vileña. Elle était brièvement montée sur le trône de Léon en épousant en 1187 Ferdinand II, un an avant la mort de celui-ci, et son douaire demeura au cœur des relations tendues entre Castille et Léon de 1188 à 1202. Au moment de la mise en place de la communauté, il s’agissait donc d’une veuve âgée, relativement isolée dans son groupe familial et retirée de la vie politique. Elle s’installa en Bureba, une région que les Haro gouvernaient depuis peu et où leur patrimoine était relativement modeste. Son groupe familial perdit d’ailleurs rapidement le contrôle de cet espace. La fondation de Herce fut réalisée en 1246 par un cadet de famille, Alfonso López de Haro, un frère de Diego López III qui cherchait à airmer sa place au sein du lignage. De fait, ses descendants, bien que portant l’apellido (surnom) Haro, constituèrent dès le règne d’Alphonse X (1252-1284) un lignage concurrent de la branche principale de la famille, dont le nom fut dès lors plus spéciiquement associé à Biscaye. Il utilisa pour son projet 65. BAURY G., « Los ricoshombres y el rey en Castilla : El linaje Haro, 1076-1322 », Territorio, Sociedad y Poder. Revista de Estudios Medievales, 6, 2012, p. 56-74. 66. Le monastère de San Andrés de Arroyo avait été fondé par la comtesse Mencía, ille des comtes Lope et Aldonza, mais son patronage demeura la propriété de la famille de son époux, les ricoshombres Lara, qui contrôlaient la région environnante. Dans le royaume de Léon, le monastère d’Otero de las Dueñas apparut également sous l’impulsion d’une petite-ille des mêmes comtes, María Núñez, mais demeura déconnecté du reste de la famille. 67. Cf. carte 3 en annexe. 33 LES RELIGIEUSES DE CASTILLE monastique des propriétés provenant probablement du patrimoine de son épouse, la cofondatrice María Álvarez, héritière des seigneurs de Cameros, une zone éloignée du cœur géographique de la puissance des Haro. Au-delà de la diversité des situations, il apparaît clairement que le lignage Haro se tourna résolument vers les communautés féminines, pourtant réputées moins puissantes et de rayonnement plus limité que leurs homologues masculines. L’analyse de l’inluence des patrons sur le recrutement de la communauté, des diférents services qu’ils recevaient de l’abbaye et de la nature des engagements qu’ils prirent en retour doit éclairer ce choix a priori paradoxal. « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr Le corpus documentaire Avant cette recherche, les fonds documentaires des trois institutions se composaient, pour la période envisagée, de 85 pièces diplomatiques pour Cañas, 153 pour Vileña et 53 pour Herce, soit une moyenne avoisinant une centaine d’unités par institution. Sans être particulièrement étofé, ce corpus paraissait assez représentatif des archives d’abbayes féminines ordinaires dans la péninsule Ibérique 68. Les travaux académiques permettaient de disposer d’une première tentative de reconstitution des chartriers de Cañas et de Herce. Vileña possédait pour sa part un cartulaire médiéval, conservé par l’Archivo Histórico Nacional de Madrid, dont María Pérez de Tudela avait réalisé une solide édition critique 69. Complétant ce travail, un érudit local avait édité un chartrier plus complet tenant également compte des quelques documents originaux conservés par la communauté 70. Le présent travail a tout d’abord impliqué une vériication systématique des transcriptions publiées par rapport aux originaux, ce qui a permis de rectiier certaines erreurs et de remédier à quelques oublis. Il a ensuite été procédé à un dépouillement complet des fonds encore inexplorés, notamment les chartriers constitués à partir de collections privées ou d’accès diicile. Cette démarche a permis de découvrir des documents qui, s’ils n’avaient pas fait partie des archives de l’une des trois communautés, évoquaient directement ses activités ou celle de ses membres. Le corpus s’est ainsi étofé de plus du quart de son volume, atteignant un total de 364 textes. L’histoire mouvementée des cisterciennes et de leurs archives depuis le XIXe siècle explique la multiplicité des lieux de conservation de la documen68. Pour la même période, le fonds exceptionnel de la grande abbaye royale de Las Huelgas de Burgos rassemble 748 chartes. Les archives de trois institutions léonaises s’avèrent aussi particulièrement riches : Carrizo compte 608 pièces, Gradefes 550, Otero de las Dueñas 277. Mais beaucoup d’autres institutions n’ont conservé qu’une cinquantaine de documents ou moins. 69. PÉREZ DE TUDELA M. I., El monasterio de Vileña en sus documentos. El códice del AHN, Madrid, Universidad Complutense, 1977. 70. CADIÑANOS BARDECI I., El monasterio de Santa María la Real de Vileña, su museo y cartulario, Villarcayo, 1990. 34 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr INTRODUCTION tation. Les biens des communautés religieuses furent conisqués par les gouvernements libéraux, notamment celui de Mendizábal en 1836. Cette Desamortización devait théoriquement conduire à la centralisation de leur documentation à Madrid, d’abord à la Real Academia de la Historia en 1850, puis à l’Archivo Histórico Nacional, créé dans ce but en 1866. Pourtant, les fonds documentaires des abbayes conservés à l’AHN sont demeurés incomplets. Pour la période des XIIe et XIIIe siècles, cette institution ne conserve pas plus de quarante-neuf parchemins originaux, tous en provenance de Cañas, ainsi que le cartulaire médiéval de Vileña. La documentation d’époque moderne, où l’on trouve parfois de précieuses copies de textes médiévaux, comme l’inventaire et le cartulaire de Herce, y est toutefois beaucoup mieux représentée. À la diférence de leurs confrères, la majorité des communautés féminines, celles qui étaient suisamment peuplées, ne furent pas concernées par l’Exclaustración, les mesures de suppression des communautés de 1836-1837. Cela leur laissa la possibilité de développer au cas par cas des stratégies de résistance aux coniscations de documents. Ainsi l’anecdote de la nonne dissimulant des livres sous son habit, un topos des chroniques de ces événements, correspond bien à une réalité. Les communautés qui survécurent conservèrent une partie de leurs archives médiévales (comme Cañas ou Vileña), voire la totalité (ainsi Herce ou Las Huelgas). Mais la diversité des situations prédomina. Certaines liasses aboutirent dans les Archivos Provinciales (l’équivalent espagnol des Archives Départementales françaises). Dans certains cas, les archives diocésaines héritèrent de collections presque complètes (c’est le cas à Léon pour 609 documents des archives d’Otero de las Dueñas). Dix parchemins médiévaux de Cañas aboutirent même entre les mains de particuliers dans des circonstances inconnues, avant d’intégrer la Biblioteca Nacional de España de Madrid par le biais d’un legs. Dans ces circonstances, beaucoup de chartes disparurent. Par ailleurs, au cours des deux derniers siècles de leur histoire, un grand nombre de communautés ont déménagé ou fusionné. Leurs archives ont suivi leurs tribulations. Ainsi la documentation médiévale de Herce se trouve désormais à Santo Domingo de la Calzada, auprès de la communauté qu’une partie des moniales rejoignit en 1835. Composée de trente-trois parchemins originaux pour la période choisie, dont deux pancartes, ce fonds abrite la quasi-totalité des textes mis en œuvre dans cette étude pour cette institution. Après l’incendie de leur monastère en 1970, les moniales de Vileña s’installèrent quant à elles à Villarcayo, à cinquante kilomètres au nord. C’est dans leurs murs que se trouvaient les quinze originaux pris en compte ici au moment de cette recherche. Depuis cette époque, la communauté, réduite à trois moniales, a abandonné en 2009 ses locaux pour rejoindre le monastère de San Felices de Burgos, appartenant à des religieuses de l’ordre de 35 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr LES RELIGIEUSES DE CASTILLE Calatrava, emportant avec elles leurs archives 71. Ces fonds privés s’avèrent d’autant plus diiciles à consulter qu’ils ne sont généralement ni publiés ni inventoriés et que leur accès demeure conidentiel. La communauté de Cañas, enin, ne connut pas d’accident majeur au cours de son histoire, mais ses archives ne conservent aujourd’hui qu’un seul document original du XIIIe siècle, qui contient lui-même trois textes. Les inventaires d’archives et les cartulaires d’époque moderne permettent de cerner assez précisément l’étendue et la nature des pertes. Dans le cas de Cañas, deux inventaires, le « Tumbo » de 1626 et le « Prontuario » de 1814, ont ainsi subsisté 72. Pour Vileña, le cartulaire des XIIIe-XIVe siècles et le « Tumbo » de 1794 se complètent 73. Un cartulaire de 1760 provenant de l’abbaye de Herce a également été conservé 74, ainsi qu’un inventaire du XVIe siècle 75. Grâce à ces manuscrits, la quasi-totalité des textes de ces institutions remontant à la période choisie ont laissé une trace. La comparaison entre les documents mentionnés par ces sources de seconde main et les originaux subsistants permet donc d’évaluer la rigueur des inventaires, la qualité des transcriptions et surtout la quantité de textes perdus. Ainsi, dans le cas de Herce, un seul original provenant de ses archives a été omis dans le cartulaire de 1760, et un seul document reproduit par l’archiviste a disparu du fonds. Le chartrier peut ainsi être considéré comme exhaustif et la grande majorité des textes sont transmis par des originaux. Les vingt et un actes copiés dans les deux pancartes font igure d’exception : aucun d’entre eux n’a subsisté sous sa forme originelle 76. Les documents concernés, datés entre 1242 et 1271, sont le plus souvent (trois fois sur quatre) résumés ou tronqués, ce qui pose des problèmes de critique. On ne peut porter un jugement aussi déinitif sur les archives de Cañas. L’abbaye ne it pas procéder à des transcriptions systématiques à l’époque moderne et les inventaires de 1626 et de 1814 mentionnent l’existence d’une cinquantaine de documents perdus au XIXe siècle pour autant 71. Leurs objets d’art ont quitté leur petit musée de Villarcayo et se trouvent désormais à Burgos. Ainsi le sarcophage de la fondatrice, la reine Urraca, est aujourd’hui exposé au Museo del Retablo. 72. Tous deux conservés sans cote dans les archives de l’actuelle communauté de Cañas. 73. AHN, codex 1168B, et archives de la communauté de Vileña, sans cote. 74. Sous le titre Compulsa de los instrumentos comprehendidos desde el número uno hasta el número sessenta y seis inclusive, que se hallan en este archivo del Real Monasterio de Santa María desta villa de Erze, que han sido trasladados por mano de don Juan Antonio Ruiz de Reajal, presbítero beneficiado de Arnedillo, siendo abadesa la mui ilustre señora doña María Arnedo, siendo maiordoma cilleriza doña María Agustina Castexón. Año de 1760. AHN, Clergé, liasse 2862 (contenant deux livres). 75. AHN, Clergé, livre 5760, intitulé : Este es el inbentario de los Papeles Prinçipales deste Archivo de las Monjas de Herce. 76. Les deux pancartes sont conservées dans le fonds de Herce auprès des bernardines de Santo Domingo de la Calzada. La première, portant la cote 19, mesure 523 x 215 mm et comporte douze textes (Herce, nos 4 à 8, 17 à 19, 21, 24, 44 et 45). La moitié d’entre eux seulement portent une date. La seconde, cotée 18, mesure 760 x 215 mm et comporte neuf textes dont aucun n’est daté, même si l’on peut établir qu’ils avaient été rédigés entre 1246 et 1271 (Herce, nos 16, 23, et 46 à 52). Les critères paléographiques laissent à penser qu’elles sont de peu postérieures aux dates des actes. Il s’agit pour l’essentiel d’opérations foncières de petite envergure. 36 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr INTRODUCTION d’originaux subsistants. Une dizaine de ces chartes disparues seulement sont connues par ailleurs grâce à des copies intégrales comme celles réalisées au XVIIIe siècle par les moines de San Millán de la Cogolla dans le manuscrit intitulé « collection Minguella ». Les deux cinquièmes du fonds ne peuvent donc être approchés autrement que par des résumés tardifs. Il est en outre possible que quelques documents aient disparu sans laisser de traces, car les auteurs des inventaires ne furent pas parfaitement rigoureux. On peut en efet dénombrer dix-sept omissions dans le Tumbo et trente-quatre dans le Prontuario. Huit documents connus par leurs originaux échappèrent même aux deux archivistes, qui avaient pourtant pour mission d’élaborer un nouveau classement raisonné. La coïncidence laisse perplexe. Il pourrait s’agir de pertes intervenues avant le début du XVIIe siècle. La qualité du chartrier de Cañas n’est donc pas idéale, même si les résumés d’époque moderne compensent dans une certaine mesure la quasi-totalité des disparitions. Avec ses 164 textes du XIIIe siècle, le chartrier de Vileña constitue quant à lui la série la plus importante des trois abbayes, mais peut-être aussi la plus incomplète. De manière atypique pour la Castille, ce fonds d’archives subit d’importantes pertes avant même le XIXe siècle, comme l’indiqua l’auteur du Tumbo en 1794. Seuls trois originaux sur les dix-huit transcrits dans ce manuscrit ont été perdus depuis. Étrangement, ces disparitions précoces sont liées à la réalisation du cartulaire médiéval de l’abbaye, puisqu’aucun original n’a subsisté parmi les textes qui s’y trouvèrent copiés. Seul le double chirographique du document fondateur a été conservé dans les archives de Las Huelgas. Les documents royaux, dont les textes n’avaient pas été inclus dans le cartulaire, ont en revanche été préservés. En conséquence, les quatre cinquièmes des textes connus pour Vileña au XIIIe siècle le sont exclusivement par le cartulaire. Pour autant, le processus de destruction échappe à toute tentative d’explication. Il est donc essentiel de déterminer la logique de réalisation de ce cartulaire, qui s’avère particulièrement complexe. Dans l’étude codicologique de référence, José Manuel Ruiz Asencio avait repéré l’intervention de six scribes diférents (A à F), opérant entre le milieu du XIIIe et le début du XIVe siècle 77. La présente recherche a permis d’identiier deux intervenants supplémentaires : le premier, A’, qui succéda immédiatement au copiste A 78; le second, D’, qui avait été confondu avec D. Bien qu’ils eussent conscience de participer à une entreprise cohérente, puisqu’ils écrivirent parfois sur les cahiers de leurs prédécesseurs et que, lorsque ce n’était pas le cas, ils prirent soin de choisir le même format, ils transcrivirent souvent les mêmes textes, ce qui laisse à penser qu’ils n’avaient pas complètement lu le travail réalisé 77. « El códice diplomático del Monasterio de Vileña », Homenaje a don Agustín Millares Carlo, t. 1, Gran Canaria, 1975, p. 57-67. 78. Il avait déjà été identiié au hasard de ses recherches en archives par Ramón MENÉNDEZ PIDAL, qui le désigna sous la lettre B dans Documentos lingüísticos de España, t. 1 : Reino de Castilla, Madrid, Centro de Estudios Históricos, 1919, rééd. Madrid, CSIC, 1966, p. 64. 37 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr LES RELIGIEUSES DE CASTILLE avant eux : près du tiers des 183 textes du cartulaire s’avèrent ainsi être des doublons. Le codex fut assemblé tardivement, à la in du XIVe siècle ou au début du XVe 79. Le relieur ne prit pas non plus la peine de compulser les feuillets, ou peut-être n’arrivait-il pas à les déchifrer : il it se succéder les neuf cahiers dans un désordre absolu. Un cahier au moins avait déjà été perdu. Le fonds de Vileña demeure donc incomplet et il est impossible de connaître la quantité de textes manquants. Au sein même du cartulaire, le nombre et la qualité des copies varient sensiblement d’un scribe à l’autre. Le scribe A s’avère le plus iable. Il copia sur quatre quaternions 74 textes couvrant la période 1221-1232, soit près de 60 % de la matière première fournie par le cartulaire. Son intervention a été jusqu’à présent datée du milieu du XIIIe siècle par une approche paléographique 80. Les critères internes indiquent plutôt qu’il arrêta son activité de copie en 1232, ce que ne contredisent pas formellement les caractéristiques de l’écriture. Il classa les textes dans un ordre chronologique approximatif. Les diférences d’intensité de l’encre qu’il a employée indiquent sa méthode de travail : il a généralement recopié l’eschatocole des actes dans une seconde phase, après en avoir reproduit le dispositif et mentionné les garants. Cette méthode lui valut d’oublier la formule inale de datation à neuf reprises. A’ prit le relais, ajoutant sept textes sur le dernier cahier que son prédécesseur avait laissé inachevé – ce qui permet de penser que rien ne s’est perdu du travail de A 81. A’ copia des actes passés entre 1223 et 1233, dont quatre avaient déjà été transcrits par A. Sa période d’activité se limita probablement aux années 1232 et 1233. Les doublons montrent que les copies réalisées par A’ étaient moins idèles au texte que celles de A, qui doivent être systématiquement préférées. B fut le second intervenant majeur du cartulaire. Il produisit 95 copies, qui occupent quatre cahiers du cartulaire, trois quaternions et un trinion. Sa dernière transcription s’arrête net au milieu d’une phrase, en bas d’une page concluant un cahier, preuve qu’il manque une partie de son travail 82. Comme le conirment les caractéristiques de sa gothique cursive, il travailla peu après 1295, date du plus tardif des textes transcrits de sa main. Les cahiers qu’il avait fait confectionner étaient similaires à ceux utilisés par A et A’, mais le parchemin était de qualité nettement inférieure. Pour autant, il ne tint aucun compte de leur travail. La moitié de ses copies avaient en efet déjà été réalisées par l’un ou l’autre de ses prédécesseurs. L’ordre dans lequel il les réalisa ne laisse par ailleurs transparaître aucune logique géographique 79. RUIZ ASENCIO J. M., « El códice diplomático del Monasterio de Vileña », op. cit., p. 59. 80. Cette datation a été proposée par RUIZ ASENCIO J. M., « El códice diplomático del Monasterio de Vileña », op. cit., et reprise par PÉREZ DE TUDELA M. I., El monasterio de Vileña, op. cit., p. IX. 81. Il intervint sur les actuelles pages 12 à 16. Son écriture est similaire à celle de A, mais sa capitale « I » est beaucoup plus décorée, le ductus de sa capitale « E » (dans « Era », notamment) difère, ainsi que celui du « x » des chifres romains, du « et » tironien, du « q » et du « s ». Son écriture se caractérise par des traits plus épais que ceux de A, et l’emploi d’une encre de meilleure qualité. 82. AHN, codex 1168B, p. 96. 38 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr INTRODUCTION ou temporelle. Son absence de méthode le conduisit à reprendre lui-même deux fois le même texte à huit reprises. Le nombre important de doublons permet de confronter son travail à celui de A : il prenait beaucoup de libertés avec le texte originel, suivant en outre des modalités variables. La plupart du temps, il réalisait un résumé de l’acte, dans lequel il omettait parfois la date. D’autres fois, il copiait l’essentiel du texte en évacuant seulement l’eschatocole. Il conservait cependant toujours les listes de témoins, dont il se contentait même pour certains actes, tandis que pour d’autres, il copiait seulement le texte concernant la prise de possession de la propriété. Faute de meilleure tradition, il faut se contenter de sa version pour quarante-sept actes du XIIIe siècle. Les autres intervenants, C, D, D’, E et F, ne produisirent à eux cinq que huit copies, dont quatre de la seconde moitié du XIIIe siècle qui avaient échappé à l’attention de B. La chronologie absolue et même relative de leur travail est diicile à ixer. Le copiste appelé D par José Manuel Ruiz Asencio intervint sur un feuillet isolé dans le codex (p. 97-98), et sur la première et la dernière page du neuvième cahier du codex (p. 127 et 134). Malgré d’importantes similitudes, l’écriture de la p. 127 semble se singulariser suisamment pour que l’on puisse l’attribuer à un autre copiste, D’ 83. Ne sont donc attribuables à D que trois textes datés de 1253 à 1275 (comprenant un texte dont B avait proposé une version prenant beaucoup de libertés avec les formes diplomatiques), tandis que D’ transcrivit deux documents de 1257 et 1266. Le principal rédacteur du neuvième cahier, à partir de sa seconde page, est le scribe C, qui produisit un inventaire de propriétés du monastère (p. 128-134) dont María Pérez de Tudela a pensé qu’il pouvait être l’auteur 84. Les personnages mentionnés comme propriétaires limitrophes apparaissent cependant dans les textes des années 1221-1234, ce qui montre que C n’a fait que copier – à la in du XIIIe siècle, si l’on se ie à son écriture – un inventaire datant du début des années 1230 ou au plus tard de la in des années 1240. Plus loin, sur la dernière page du codex (p. 134), E abrégea le texte d’une donation faite à l’abbaye entre 1234 et 1250, qu’il transforma en un inventaire de la propriété concernée. Enin, proitant d’une page laissée vierge par ses prédécesseurs p. 133, F résuma un document daté de 1327 ou de 1332, sans doute peu après l’acte. Les textes du cartulaire de Vileña posent donc divers problèmes de critique, particulièrement importants pour ceux qui ne sont connus que par le travail de B. Trente-quatre d’entre eux, notamment, ne sont pas datés. La perte d’une partie du chartrier dont il est diicile d’apprécier l’importance peut entraîner des efets de sources. Il est notamment tentant 83. Les diférences portent notamment sur le ductus du « et » tironien, du « g », et du « C ». 84. C’est ce qu’elle suggère tacitement en classant ce document à la date estimée de sa copie (Vileña I, p. 97-104, nos CXXVI-CXXIX). 39 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr LES RELIGIEUSES DE CASTILLE d’expliquer ainsi la forte surreprésentation des textes rédigés entre 1221 et 1234 (qui représentent près des deux tiers du corpus) et surtout l’absence complète d’écrits pour les années 1234-1246. Pourtant, les deux phénomènes peuvent également s’expliquer, comme il apparaîtra par la suite, par des cycles propres à l’histoire de l’abbaye et notamment par l’évolution des relations avec ses patrons. La répartition chronologique des transcriptions de B conirme l’importance des oscillations de la production documentaire à Vileña. Près de 70 % des textes qu’il a copiés sont antérieurs à 1234, soit la même proportion que pour l’ensemble du chartrier. Les archives des trois monastères étudiés en priorité, Cañas, Vileña et Herce, ne posent inalement pas de problème majeur de mise en œuvre. Leur relative modestie, relet assez idèle du statut de chacune de ces institutions, représente leur seule limite. Aussi le parti a-t-il été pris d’en compléter les informations, chaque fois que cela s’est avéré nécessaire, par des informations tirées des chartriers d’autres communautés féminines castillanes, dont la critique sera efectuée au cas pas cas. 40
« Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr Table des matières Abréviations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .9 Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 Première partie LE PATRONAGE DES RICOSHOMBRES Chapitre I Des sociétés féminines sous contrôle aristocratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Fondatrices et señoras . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Las Huelgas et ses infantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 Des patronnes dans les cloîtres. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 Un paradigme héréditaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 La désignation des abbesses par les patrons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 Une pratique généralisée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 Les abbesses vassales. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 Les abbesses señoras . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60 Un recrutement sélectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 Des effectifs restreints . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 Des dames de la noblesse seconde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66 Des religieuses propriétaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 Chapitre II Les services rendus aux patrons. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 Assurer son salut . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 L’espoir du contre-don divin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 Le culte de la mémoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 Des panthéons familiaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 327 LES RELIGIEUSES DE CASTILLE Des centres culturels privés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 Des lieux d’éducation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 Des conservatoires de la mémoire écrite familiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 Des ateliers de production de l’écrit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 Des lieux de mise en scène du lignage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86 Patronage et architecture. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86 Héraldique et présence symbolique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 Le droit de gîte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90 Chapitre III Les engagements des patrons. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr L’utilisation de prérogatives politiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 Une présence militaire sécurisante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 L’appui de la justice civile. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 Le gouvernement local au service des abbayes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 Une interdépendance économique durable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 Nouvelles donations, nouveaux patronages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 La permanence du droit de retour. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100 Aide à la gestion ou tutelle économique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 Le rôle d’intercession . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 Les Haro, les cisterciennes et le roi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 Les rapports avec les évêques castillans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 L’accès à la curie romaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 Deuxième partie LES CISTERCIENNES CASTILLANES ET L’ORDRE : DE L’INDÉPENDANCE À L’ASSUJETTISSEMENT Chapitre IV L’autonomie des premières fondations (1160-1187) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 Des abbayes indépendantes du Chapitre Général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 Un lien purement spirituel avec l’ordre cistercien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 L’absence de relation avec des abbés cisterciens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120 Liens de filiation ou réseaux de cisterciennes ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122 La mise en œuvre des privilèges cisterciens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126 L’exemption de la juridiction épiscopale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126 L’exemption de la dîme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128 Les autres prérogatives du « privilegium commune » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129 Les autorités civiles garantes du statut cistercien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 Le rôle déterminant des fondateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 328 TABLE DES MATIÈRES La prééminence de la confirmation royale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132 La validation tardive du chapitre général de Cîteaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 Chapitre V L’assujettissement à la royauté castillane (1187-1230) . . . . . . . . . . . . . . . . 137 Le chapitre d’abbesses de Las Huelgas, un projet royal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138 La préparation d’un rassemblement spirituel (1187-1188) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138 Un coup de force institutionnel (1189) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140 La poursuite de l’offensive royale (1189-1199) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143 L’abbaye de Las Huelgas, tête de l’ordre cistercien en Castille . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr Une relation directe avec Cîteaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145 Une suprématie sur les abbés cisterciens de Castille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149 Des rapports privilégiés avec Rome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151 Le monopole de la royauté sur les nouvelles fondations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152 Des stratégies aristocratiques pour échapper au contrôle de Las Huelgas . . . . . . . . . . . . 152 La volte-face de la royauté au début des années 1220 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154 L’autorité royale et l’ordre cistercien à la fin des années 1220 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 Chapitre VI L’affirmation de l’autorité cistercienne (1230-fin XIIIe siècle) . . . . . . . . 161 Une procédure de fondation cistercienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162 Le recours contraignant au Chapitre Général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 L’institutionnalisation des abbés-pères . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166 Une continuité du quotidien monastique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173 Le relatif effacement de la royauté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175 Le rôle restreint de Las Huelgas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175 Un contrôle moins étroit des communautés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177 L’ordinaire encore tenu à l’écart . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179 Le recul du patronage aristocratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181 L’ordre cistercien et le patronage. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181 Un contrat entre les fondateurs et l’Ordre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183 La victoire de l’Ordre sur les patrons à Herce en 1267-1268. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187 Troisième partie L’ÉCONOMIE DES CISTERCIENNES Chapitre VII Des temporels façonnés par les patrons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195 L’importance décisive des fondateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197 La concentration des acquisitions pendant la période de fondation . . . . . . . . . . . . . . . . . 197 329 LES RELIGIEUSES DE CASTILLE Le cœur géographique du temporel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199 Le rôle exclusif des fondateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 Une faible attractivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205 Une pénurie de donations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205 Les libéralités des Haro . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207 Des donations suscitées indirectement par le patronage. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208 L’absence de politique active d’expansion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210 L’impact limité des acquisitions de la vie autonome. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210 Des opérations opportunistes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212 Une phase exceptionnelle : l’expansion de Vileña (1222-1234). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214 Chapitre VIII « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr Un patrimoine de type seigneurial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219 Les droits seigneuriaux au cœur du temporel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219 Les villas initiales, domaines agricoles ou rentes foncières ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220 L’acquisition de nouvelles rentes liées à la seigneurie foncière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223 Les autres bénéfices de la domination seigneuriale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226 Des spécialisations agricoles dictées par l’environnement rural . . . . . . . . . . . . . . . . . 228 Cañas et la tradition de la viticulture en Haute Rioja . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229 Vileña et la prédominance de la céréaliculture en Bureba . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232 Herce, l’économie d’un fond de vallée de moyenne montagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234 Des possessions non conformes aux modèles cisterciens . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237 Les interdits ignorés de l’économie cistercienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237 Un système distinct de l’économie des cisterciens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238 Des cisterciennes atypiques ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240 Chapitre IX Un mode de gestion non cistercien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243 Une économie fondée sur les prélèvements seigneuriaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243 Les revenus des villas et le rapport des temporels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 244 Une perception décentralisée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246 L’affectation aux besoins de la communauté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248 Le mode d’exploitation des biens en propriété utile. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 256 L’absence d’économie grangière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257 Le possible recours au salariat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 258 La pratique du fermage à partir des années 1230 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259 Des gestionnaires étrangers au monde monastique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261 Le personnel masculin issu du service des fondateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261 Des professionnels de la gestion des patrimoines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263 La faible influence de l’ordre cistercien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267 330 TABLE DES MATIÈRES Conclusion générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269 « Les religieuses de Castille », Ghislain Baury ISBN 978-2-7535-2051-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr Pièces justificatives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273 Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281 Sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291 Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297 Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319 Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 321 331