La prestigieuse Harvard Business Review publia, en décembre 2003, le résultat d’une enquête menée auprès de 200 « gourous » du management, leur demandant quels étaient les penseurs vivants qui les avaient le plus influencés. Le nom qui revenait régulièrement était celui du célèbre Pr Peter Drucker ; mais le deuxième, James March, était inconnu du grand public. Pourtant, cet universitaire discret, mort le 27 septembre, en Californie, a révolutionné de nombreux domaines de l’économie, de la psychologie, de la sociologie, des sciences de l’éducation et de la philosophie politique.
James March, né le 15 janvier 1928, est un des fondateurs de la théorie des organisations (comment les comportements individuels s’articulent pour produire le comportement d’une organisation), de l’apprentissage organisationnel (comment les organisations font évoluer leur vision du monde et leurs règles de fonctionnement) et du néo-institutionnalisme (quelles institutions structurent favorablement le comportement des individus, des organisations et de la société).
« Don Quichotte » pour comprendre les organisations
Il a aussi marqué des générations d’étudiants enthousiastes, qu’il fit travailler à partir d’œuvres littéraires comme Don Quichotte et Guerre et Paix, plutôt que sur les classiques « études de cas » de décisions managériales comme dans les business schools.
Selon les économistes traditionnels, un décideur étudie les conséquences des différents choix possibles et sélectionne celui qui produit le meilleur résultat. Mais, comme l’a montré James March, un décideur submergé ne peut inventorier et évaluer toutes les actions envisageables. Au lieu d’optimiser chaque choix, il s’arrête à la première solution conduisant à un résultat jugé satisfaisant selon ses critères du moment.
Les choses se compliquent au sein des organisations, où la décision résulte de coalitions politiques entre des protagonistes aux convictions et intérêts parfois différents. Pour éviter de devoir analyser chaque nouveau problème, les organisations, comme les individus, développent des procédures et des règles à partir de leur expérience. Ces règles sont suivies sans qu’on se rappelle toujours des raisons pour lesquelles elles ont été adoptées.
Mais comment une organisation peut-elle apprendre de son environnement et réviser des procédures qui peuvent ne plus être adaptées ? Si nous sommes convaincus que faire la danse de la pluie va faire tomber la pluie, sauf si un des participants danse mal ou a le cœur impur, nous persisterons dans cette croyance, à moins d’avoir dansé très longtemps et sacrifié tous les mauvais danseurs et les traîtres potentiels sans que la pluie tombe. Pour prospérer, une organisation doit donc à la fois exploiter ses compétences dans ce qu’elle a appris à bien faire, et explorer de nouvelles possibilités, de nouvelles techniques, de nouvelles règles, de nouvelles visions du monde. Créer une organisation apprenante demande un dosage subtil d’exploitation et d’exploration.
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