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Jean-Luc Mélenchon, soutien de Vladimir Poutine ? C'est l'ultime carte abattue par Benoît Hamon.
Jean-Luc Mélenchon, soutien de Vladimir Poutine ? C'est l'ultime carte abattue par Benoît Hamon.
NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Jean-Luc Mélenchon : ce qu'il a vraiment dit sur la Russie, Poutine et la Syrie

Décryptage

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Distancé par Jean-Luc Mélenchon dans les sondages, Benoît Hamon tente le tout pour le tout en reprenant le refrain d'une supposée fascination du candidat de la France Insoumise pour Vladimir Poutine. Voici ce qu'il en est.

C'est leur dernière carte à jouer. Un argument massue pour tenter d'endiguer la lente dégringolade dans les sondages de leur candidat, dont la courbe a fini par croiser la dynamique positive de Jean-Luc Mélenchon. Ces derniers jours, les amis de Benoît Hamon martèlent dans les médias les supposées passions mélenchoniennes pour l'ogre Russe. Mélenchon, fan de Poutine, de quoi en effet refroidir une bonne partie de l'électorat droit-de-l'hommiste...

Lundi 27 mars, alors qu'un nouveau sondage place le socialiste à 5 points derrière le candidat de "La France Insoumise", Pascal Cherki, député PS, cogne en ces termes : "Nous ne sommes pas d'accord pour s'aligner sur Poutine". La veille, Benoît Hamon sonnait la charge lui-même sur BFMTV, affirmant : "Ma différence avec Jean-Luc Mélenchon, c'est que je ne crois pas qu'aligner la France sur la politique du Kremlin soit bonne".

De quoi mettre le camarade, comme le socialiste l'a fait après le débat du 20 mars, dans le même sac qu'un François Fillon ou une Marine Le Pen, qui ne cachent pas leurs accointances avec Vladimir Poutine. La présidente du FN est ainsi allée chercher son adoubement le 25 mars à Moscou. Quant à l'ex-Premier ministre, il revendique avoir travaillé en bonne intelligence avec celui qui était son homologue russe quand il était à Matignon : "Il ne nous déplaisait pas de nous voir", reconnaît-il dans son livre Faire.

Je ne suis lié d'aucune manière à Monsieur Poutine. Je combats absolument sa politique...
Jean-Luc Mélenchon

En meeting au Havre ce 30 mars, le mis en cause a tenu à répondre frontalement à ce procès en poutinisme. "Je ne suis lié d'aucune manière à Monsieur Poutine. Je combats absolument sa politique et si j'étais russe, je ne voterais pas pour son parti mais pour mon camarade du Front de gauche russe, qui est en prison", a-t-il martelé face à ses militants. Et d'égrener les désaccords qui se dressent entre lui et le président russe : l'écologie, le traitement des opposants politiques , l'anticapitalisme, le respect des droits de l'Homme. "Mais quand bien même n'aurais-je rien à voir avec lui, ce qui est le cas, ça ne m'empêche pas de vous dire que je ne suis pas d'accord pour participer au chœur des excités qui passent leur temps à espérer qu'on déclenche un conflit avec les Russes parce que ceci est une abomination. Je suis pour la paix", a-t-il insisté.

Mais d'où vient cette idée que Jean-Luc Mélenchon serait une groupie de l'austère Vladimir, qui lui colle à la peau comme le sparadrap au capitaine Haddock ? Explications.

2014 : l'Ukraine et la Crimée

L'idée d'un Mélenchon poutiniste est née en 2014, lors la crise politique en Ukraine. Alors que les Ukrainiens manifestent sous les couleurs du mouvement Euromaïdan qui a provoqué la démission du président pro-russe Viktor Ianoukovitch et que la Crimée a voté par un référendum contesté son rattachement au géant russe, Jean-Luc Mélenchon s'oppose à toutes représailles économiques de la communauté internationale contre la Russie : "Les ports de Crimée sont vitaux pour la sécurité de la Russie, il est absolument prévisible que les Russes ne se laisseront pas faire, ils sont en train de prendre des mesures de protection contre un pouvoir putschiste aventurier, dans lequel les néonazis ont une influence tout à fait détestable", analyse-t-il.

"Cela dit sans sympathie pour le gouvernement russe"

"Nous Français, n'avons rien à faire dans une histoire pareille, nous n'avons rien à faire à encourager les provocations contre les Russes, cela dit sans sympathie pour le gouvernement russe", poursuit-il en référence au processus d'adhésion alors en cours de l'Ukraine et de la Géorgie à l'Otan. Bien loin, donc, d'une déclaration d'amour, Mélenchon refuse simplement de se fondre dans l'imaginaire romantique qui fait de l'ensemble des manifestants de la place Maïdan des hérauts de la démocratie en fermant les yeux sur les mouvements néo-nazis qui composent aussi une partie des rangs de la contestation. Et affirme au passage une volonté diplomatique, qu'il a développée depuis : celle que la France ne prenne plus part à des conflits dans lesquels elle n'aurait aucun intérêt stratégique direct.

Février 2016 : la Syrie

Le 20 février 2016, dans l'émission On n'est pas couché sur France 2, le candidat de la France insoumise se retrouve dans le fauteuil des invités. Cette fois, c'est le rôle de la Russie dans la guerre en Syrie qui fait débat.

Interrogé sur son soutien "aux bombardements russes" en Syrie, Jean-Luc Mélenchon commence par rappeler que "les évènements lorsqu'ils se déroulent créent leur propre logique", relevant l'erreur originelle de l'intervention américaine en Irak qui "a déstabilisé toute cette région" et signifiant par conséquent son refus de se "considérer comme le gendarme du monde" qui pousse à "des indignations à géométrie variable". Léa Salamé le coupe et s'ensuit ce dialogue (toute la séquence est à revoir à partir de 30' dans la vidéo ci-dessous) :

"- Léa Salamé : Poutine, est-ce que vous êtes pour ce qu’il est en train de faire en ce moment en Syrie ?

- Jean-Luc Mélenchon : Oui.

- Léa Salamé : Il fait quoi, là, en Syrie ?

- Jean-Luc Mélenchon : Je pense qu’il va régler le problème.

- Léa Salamé : Et c’est quoi ? Comment ?

- Jean-Luc Mélenchon : Eliminer Daech."

"Je suis pour que Daech soit vaincu, écrabouillé"

La rumeur, validée par de nombreux médias, ne retiendra qu'un blanc-seing aveugle donné par Jean-Luc Mélenchon à Moscou. La suite de la discussion nuance pourtant cette analyse... Sommé de répondre, il précise ainsi sa position : "Je suis pour que Daech soit vaincu, écrabouillé et que les Kurdes (YPG et FDS, ndlr) gagnent pour la stabilité dans la région". Et face, une nouvelle fois, à l'affirmation selon laquelle les frappes russes ne s'acharneraient que sur l'opposition, il s'emporte : "Ce n'est pas vrai, ce sont les Russes qui ont coupé les communications qui sortaient le pétrole de Daech pour faire de la contrebande par la Turquie, et c'est ça qui a été bombardé. Donc je félicite les Russes d'être parvenus à couper cette liaison, si bien que Daech va être étranglé". Des objectifs que le journal Le Monde ne contestera pas dans un papier publié fin novembre 2015 ("Les Russes visent les réserves de pétrole") et que la situation actuelle de Daech en Syrie atteste*. Puis Mélenchon répond au terme de "rébellion" posé indistinctement sur l'ensemble des mouvements anti-régime en Syrie, alors que l'infiltration de combattants islamistes y est avérée : "Quand vous voyez qu'Al Qaïda est notre ennemi en Afghanistan et devient notre allié en Syrie, tout ça est absurde. Il faut rétablir l'ordre, et l'ordre passe par le fait que l'on élimine Daech de là".

Un peu plus tôt dans la discussion, il lâchait cette phrase : "Nous n'avons pas d'amis, nous n'avons que des intérêts". En clair, Mélenchon prône la hiérarchisation des ennemis, et place au premier rang d'entre eux Daech qui vient de frapper durement la France. Ce qui explique trois éléments :

- son soutien aux Kurdes de Syrie, forces qui ont démontré depuis 2014 leur efficacité sur le terrain contre les combattants de l'Etat islamique

- son soutien aux bombardements russes lorsqu'ils détruisent les sources de revenu de Daech

- sa remise en cause de la stratégie américaine et française de se reposer sur des groupes armés d'inspiration djihadiste ou salafiste tels que le Front al-Nosra, devenu Front Fatah al-Cham et longtemps affilié à l'organisation Al-Qaïda.

Octobre 2016 : les crimes de guerre

Le 18 octobre 2016, Jean-Jacques Bourdin a du mal à cacher la joie que lui procure l'effet de sa question sur son invité : "Les fameux crimes de guerre de la Russie, 'des bavardages', vous avez dit ça ou pas ?". Depuis son passage le 11 octobre à l'émission L'épreuve de vérité sur Public Sénat, l'eurodéputé subit en effet un tir nourri, après qu'une dépêche de l'AFP relatant sa prestation a titré "Des crimes de guerre en Syrie ? Mélenchon parle de 'bavardages'". On peut y lire qu'interrogé sur la notion de "crime de guerre imputable à la Russie", liée toujours aux bombardements en Syrie, il aurait répondu : "Tout ça, ce sont des bavardages".

Mélenchon niera avec véhémence cette interprétation de sa réponse. Que s'est-il donc passé sur Public Sénat ? En fait, le candidat est questionné sur la crise entre Moscou et Paris depuis que François Hollande a décidé de hausser le ton contre son homologue russe sur le dossier syrien. "Je désapprouve totalement ce qu'il est en train de faire, qui est totalement contraire au intérêt de la France", lance alors l'"insoumis" en reprenant des accents gaulliens : "Nous sommes totalement alignés sur les Etats-Unis et nous courons devant, et ce n'est pas du tout conforme à l'intérêt de la France". Et tandis que la discussion se porte précisément sur la menace, brandie par François Hollande, d’engager une action devant la Cour pénale internationale contre la Russie pour des crimes de guerre commis par son aviation sur Alep, Mélenchon répond : "Tout ça, ce sont des bavardages. Il y a une guerre..."

Les bombardements quels qu'ils soient sur des civils sont abominables.
Jean-Luc Mélenchon

Le problème, c'est que le journaliste vient de lâcher l'expression "crime de guerre", et que les observateurs s'empresseront d'analyser la réponse comme une remise en cause de cette notion même. Pourtant, il aurait suffi d'écouter un peu plus longtemps pour saisir la réalité de la pensée développée. En effet, quelques minutes plus tard, le candidat expose : "Les bombardements des Saoudiens au Yemen sont abominables, les bombardements quels qu'ils soient sur des civils sont abominables (...) Mais il y a une guerre et les deux parties veulent la gagner. Je verrais bien la tête et les questions que vous poserez à vos invités d'ici quelques jours quand nous commencerons les bombardements sur Mossoul. Vous les trouverez divins, parce que libérateurs ! Vous savez qu'il y a des Français engagés là-bas, que l'artillerie, c'est les Français qui l'organisent ? Et à ce moment-là qu'est ce qu'on dira ?"

Et de répéter sa position : "La guerre est la guerre, et elle est abominable. Et pour ça il faut une coalition universelle qui regroupent toutes les parties prenantes au conflit pour en finir avec les milices de l'islamisme politique".

Mise à jour

Mise à jour de l'article

*En Syrie, Américains et Russes ont fini par opérer un rapprochement dans le nord du pays, afin d'empêcher la Turquie d'attaquer les troupes kurdes YPG. Les Etats-Unis ont de leur côté opéré un revirement diplomatique, ne faisant plus du départ de Bachar al-Assad une priorité. Le Front Al-Nosra a quant à lui fait sa mue en rompant avec la maison mère Al Qaïda, afin de rester dans les petits papiers américains. Sur le terrain, l'alliance de circonstance - soutien russe au régime et soutien américain aux forces kurdes (rejoint récemment par le Kremlin) - a donné ses fruits sans que la France ait joué un rôle de premier plan. "Les situations complexes ne peuvent hélas pas rentrer dans les formats de télé", alertait Mélenchon. Les questions internationales en sont un bon exemple.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne